Obsolescence programmée ou pas, je possède un smart-aphone
L’écran est devenu noir. Inexpressif. Calme. Il était là, mon smartphone, gisant sur mon siège. J’ai tenté de le rallumer. Aucune réaction. J’avais envie qu’il me parle, qu’il me confie sa douleur: « Que se passe t-il ? Que veux-tu ? Parle moi, communique ; n’est-ce pas ta fonction première, après tout ?» En urgence, je le branche sur le secteur, les 220 Volts n’y font rien. Son cœur de lithium ne répond plus. Je le retire, et je réintègre la batterie. Un vain espoir. Ma « prothèse sociale » vient de rendre l’âme. Il avait deux ans, est-ce le mythe de l’obsolescence programmée qui l’a emporté ?
C’est vrai que mon Nokia 3210 a survécu plus longtemps. Il en a connu des mésaventures. Mais jamais, il ne s’est plaint. Il est resté fidèle, en parfait état de marche: « C’est certain, c’était mieux avant, c’était plus solide, de meilleure qualité. La société de consommation et sa vile obsolescence programmée sont passées par là, rendant tout ce que je possède voué à une mort certaine, à un repos éternel planifiée.»
La litanie est connue, pour toutes sortes d’objets. D’ailleurs, mes parents, leurs parents, et les parents des parents de mes parents (suivez bien la généalogie) la scandait haut et fort. Dés lors, où est-il passé ce miraculeux ustensile primaire, ce Saint-Graal technologique ? Celui qui était inépuisable, indémodable, incassable. Ou se cache-t-il, ce tueur de l’industrie mercantile ? Et s’il n’existait pas ?
«L’obsolescence programmée regroupe l’ensemble des techniques visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement», explique Jean-Vincent placé, auteur d’une proposition de loi en France contre ce concept: « une machination ourdie par les entreprises industrielles, qui ont trouvé là un moyen de nous obliger à racheter régulièrement leurs produits, » renchéri ironiquement Alexandre Delaigue, blogueur et économiste.
L’exemple le plus flagrant est représenté par le cartel Phoebus, un oligopole composé notamment de Philips, Osram et General Electric qui, en 1924, se seraient concertés pour réduire la durée de vie de nos ampoules électriques à 1000 heures. Le cartel a bien été sanctionné, mais sur une entente au niveau des prix, les autorités antitrust ayant estimé que: « la durée de vie de 1000 heures est un compromis technique entre diverses qualités, et pas une tentative pour escroquer les consommateurs », explique Alexandre Delaigue avant de rajouter: « Concevoir une ampoule électrique est un problème d’optimisation entre diverses qualités : la luminosité, la consommation, la durée de vie, la couleur. On pourrait ajouter qu’il y a de nombreux problèmes de standardisation : les culots d’ampoule doivent être identiques pour pouvoir passer d’une marque à l’autre; les couleurs doivent être identiques (un lustre avec des ampoules de luminosité différente est très laid et inconfortable, comme chacun peut le constater depuis que le Grenelle de l’environnement nous impose des ampoules à basse consommation qui n’éclairent pas), etc. Il n’est donc pas absurde que les entreprises du secteur aient coopéré pour établir des normes. »
Tout ne peut être à la fois durable, esthétique, pratique, peu cher, etc. un arbitrage doit être opéré. Les sempiternelles bisbilles entre les designers et les ingénieurs peuvent en témoigner. Donner carte blanche à un ingénieur, il vous fabriquera quelque chose de solide, de puissant, mais que personne ne voudra ( et ne pourra) acheter. Des choix doivent être effectués. Toutefois, comment sont-ils conditionnés ?
Comme le souligne le documentaire d’Arte, pléthore de cas d’obsolescence programmée semblent être décelés. Ce ne sont que des faisceaux d’indices. Juger qu’un appareil est sous le coup d’une telle mesure est délicat: en l’espèce, il n’y a pas de preuves irréfragables.
Toutefois, si elle n’est planifiée, l’obsolescence est néanmoins esthétique. Chaque année, les industriels présentent leurs nouvelles collections. Rien ne change, mais les mots sont présents pour titiller nos affects. Pour parler à notre subconscient. « Ce qu’il est canon ce nouveau modèle, ce serait tellement cool de l’avoir. Ça me ferait tellement plaisir. Comme le dit Oscar Wilde, le meilleur moyen de résister à une tentation, c’est d’y succomber. » Quand l’argument littéraire s’invite dans la danse affective, la valse des justifications contraires perd vite de sa splendeur.
Toujours est-il que je possède dorénavant un smart-aphone, qui de volubile est devenu muet et dont le cerveau est aussi fris qu’un poisson pané. D’ailleurs, est-il recyclable ? J’ai des doutes. Déjà, les matériaux utilisés pour sa fabrication, ces métaux rares, sont sources de conflits, d’esclavages…
Pour aller plus loin, à charge et à décharge:
- « Obsolescence programmée, prêt à jeter », un documentaire d’Arte
- « Le mythe de l’obsolescence programmée », Alexandre Delaigue
- « Obsolescence programmée, prêt à jeter », un documentaire d’Arte
- « Le mythe de l’obsolescence programmée », Alexandre Delaigue
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