Le traitement de l’information à la télévision
« Il y a deux catégories de télévision : la télévision intelligente qui fait des citoyens difficiles à gouverner et la télévision imbécile qui fait des citoyens faciles à gouverner, » Jean Guéhenno
Elle ne laisse pas indifférente. Consensuelle et insolente, stupide et réfléchie, elle éduque et lobotomise l’être humain. Elle monopolise les conversations devant les désertes machines à café. Elle construit et déconstruit les réputations. Elle sent le soufre et le scandale, la naphtaline et la rose. Elle exhale des relents de démocratie. Elle est autant essentielle que superflue. Elle est omniprésente. Détestée et enviée. Jalousée et fantasmée, elle est la parfaite concubine que l’on aime tant haïr. Objet et être humain mécanique, c’est la télévision. Un être qui, au fil des informations transmises aux téléspectateurs, semble peu à peu sortie du joug de cette étouffante main visible du politique. Pour autant, la télévision est-elle un média indispensable à l’éveil des citoyens ?
De l’histoire de l’information à la télévision. Aux trois âges de la télévision (un sujet précédemment développé dans ce billet de blog) correspondent les trois âges de l’information.
- Paléo-télévision, la mainmise du politique
« La télévision, c’est le gouvernement dans la salle à manger de chaque Français, » s’exclamait Alain Peyrefitte, Homme politique français. Au début, l’information à la télévision est institutionnelle. C’est l’époque ou Georges Pompidou parlait de la télévision comme de la « voix de la France », ou le Général de Gaulle déclarait: « l’opposition à la presse écrite, nous avons la télévision. » Comme l’explique Jean-Louis Missika: « La parole autorisée n’est pas la parole politique au sens global du terme, mais la parole du pouvoir politique ( …) L’information est verrouillée, contrôlée par le pouvoir, filtrée en fonction des intérêts politique du moment (…) La déférence et la révérence définissent la relation du journaliste à l’autorité politique. » Le présentateur du journal télévisuel est au mieux un pédagogue, au pire un relais du pouvoir. Et de rajouter: « La plupart des états européens ont choisi des modèles de télévision publique qui débouchaient mécaniquement sur le contrôle des médias par le pouvoir politique. Le phénomène de l’institutionnalisation existait aussi aux États-Unis. »
Toute jeune, la télé se cale sur la façon dont les autres médias traitent l’info; à savoir la radio, mais surtout la presse écrite. Non consciente de ses caractéristiques, l’information à la télévision emprunte ainsi plus à l’écriture qu’à l’image.
« La télévision, c’est le gouvernement dans la salle à manger de chaque Français, » s’exclamait Alain Peyrefitte, Homme politique français. Au début, l’information à la télévision est institutionnelle. C’est l’époque ou Georges Pompidou parlait de la télévision comme de la « voix de la France », ou le Général de Gaulle déclarait: « l’opposition à la presse écrite, nous avons la télévision. » Comme l’explique Jean-Louis Missika: « La parole autorisée n’est pas la parole politique au sens global du terme, mais la parole du pouvoir politique ( …) L’information est verrouillée, contrôlée par le pouvoir, filtrée en fonction des intérêts politique du moment (…) La déférence et la révérence définissent la relation du journaliste à l’autorité politique. » Le présentateur du journal télévisuel est au mieux un pédagogue, au pire un relais du pouvoir. Et de rajouter: « La plupart des états européens ont choisi des modèles de télévision publique qui débouchaient mécaniquement sur le contrôle des médias par le pouvoir politique. Le phénomène de l’institutionnalisation existait aussi aux États-Unis. »
Toute jeune, la télé se cale sur la façon dont les autres médias traitent l’info; à savoir la radio, mais surtout la presse écrite. Non consciente de ses caractéristiques, l’information à la télévision emprunte ainsi plus à l’écriture qu’à l’image.
- Néo-télévision, l’information spectacle
Le pouvoir est toujours présent, mais moins visible. « L’influence du pouvoir politique reste forte en France, assez pour que l’information à la télévision ne se pose pas en adversaire direct du pouvoir en place. Ni l’affaire du rainbow warrior ni celle des irlandais de Vincennes n’ont été portées par la télévision, qui s’est contentée de reprendre et de suivre la presse écrite, » explique Jean-Louis Missika, avant de renchérir: « On passe d’une relation de contrôle à une relation d’influence. »
« La télévision s’émancipe de la presse écrite et assume ses avantages techniques par rapport à elle: l’image animée, la présence à domicile dans l’intimité des foyers. C’est la découverte de l’information spectacle: de la mise en scène de l’actualité et des coups médiatiques. » Le JT devient un show, le présentateur une star. « C’est l’âge d’or de la politique à la télévision, l’image politique va devenir une coproduction, le fruit de la collaboration entre les communicants, spins doctors, et les journalistes. »
Le pouvoir est toujours présent, mais moins visible. « L’influence du pouvoir politique reste forte en France, assez pour que l’information à la télévision ne se pose pas en adversaire direct du pouvoir en place. Ni l’affaire du rainbow warrior ni celle des irlandais de Vincennes n’ont été portées par la télévision, qui s’est contentée de reprendre et de suivre la presse écrite, » explique Jean-Louis Missika, avant de renchérir: « On passe d’une relation de contrôle à une relation d’influence. »
« La télévision s’émancipe de la presse écrite et assume ses avantages techniques par rapport à elle: l’image animée, la présence à domicile dans l’intimité des foyers. C’est la découverte de l’information spectacle: de la mise en scène de l’actualité et des coups médiatiques. » Le JT devient un show, le présentateur une star. « C’est l’âge d’or de la politique à la télévision, l’image politique va devenir une coproduction, le fruit de la collaboration entre les communicants, spins doctors, et les journalistes. »
- Post-télévision, l’information fusion
« Délaissant l’institution et le spectacle, l’information à la télévision va s’orienter vers un registre plus intime, plus proche, plus personnel, plus fusionnel. C’est la montée en puissance d’un journalisme compassionel: la narration type du journal télévisuel porte sur un héros qui est une victime et qui subit une injustice ou un accident générateur de souffrance. Comme dans la tragédie grecque les émotions mobilisées chez le téléspectateurs relèvent de la peur et de la pitié: pitié pour celui qui souffre, peur que cela ne m’arrive aussi. Le récit journalistiques est de plus en plus centré sur la proximité et les passions, mais la hiérarchie de l’information est construite en fonction de son impact sur les affects individuels plutôt que de son importance en termes d’enjeux collectifs. »
« Délaissant l’institution et le spectacle, l’information à la télévision va s’orienter vers un registre plus intime, plus proche, plus personnel, plus fusionnel. C’est la montée en puissance d’un journalisme compassionel: la narration type du journal télévisuel porte sur un héros qui est une victime et qui subit une injustice ou un accident générateur de souffrance. Comme dans la tragédie grecque les émotions mobilisées chez le téléspectateurs relèvent de la peur et de la pitié: pitié pour celui qui souffre, peur que cela ne m’arrive aussi. Le récit journalistiques est de plus en plus centré sur la proximité et les passions, mais la hiérarchie de l’information est construite en fonction de son impact sur les affects individuels plutôt que de son importance en termes d’enjeux collectifs. »
Trois tendances dans l’information de la post-télévision peuvent être révélées: la montée en puissance de l’information de divertissement, la focalisation sur les coulisses, sur l’arrière scène ( aspiration à la transparence, à l’idée qu’il y a quelque chose de caché derrière les gestes et les actes du pouvoir et qu’il faut révéler est un élément essentiel du fonctionnement de la démocratie), la troisième tendance concerne la gestion des passions par la post-télévision et son influence sur le journalisme à la TV.
Un doux parfum de téléréalité. Comme le déclare Bourdieu: « A la télévision, la denrée la plus rare est le temps, » une sélection, une hiérarchisation de l’information doit être opérée. Le principe est de privilégier le sensationnel: « On filme et la logique du spectacle prime. La télévision appelle à la dramatisation, » et la tendance est de remplir: « ce temps rare avec du vide, du presque rien, et d’écarter l’information pertinente que doit posséder le citoyen afin d’exercer ses droits démocratiques. » Et de déplorer « la diversion des faits divers », qui pollue l’information par leur omniprésence. Par ailleurs, la télévision, « qui prétend enregistrer, devient l’instrument de création de réalité: faire voir, fait croire. Chercher les meilleures images, les meilleurs intervenants. La télévision devient l’arbitre de l’accès à l’existence social et politique. » Ce qui peut entraîner des dérives.
Fait-divers, un média peut-il payer les gens qu’il interroge ? Est-il éthique de payer des témoins pour une interview ?, ces questions ont récemment été soulevées par le Washington Post. Fin octobre 2013, NBC News, qui obtient l’exclusivité de l’unique interview d’Hannah, une jeune fille de 16 ans (qui aurait été enlevée par un ami de sa famille, tué par le FBI) et de son père, négocie un contrat de plus de 100 000 dollars avec eux pour un documentaire. Comme l’explique arrêtsurimages, NBC News n’en ait pas à son premier coup d’essai et a déjà: «reconnu avoir payé les familles de trois survivants de mineurs restés longuement prisonniers au fond d’une mine au Chili. Ces familles avaient témoigné dans les programmes Good Monrning America et Today (la même émission que celle où a témoigné Hannah).» « Vous ne voulez pas donner à vos sources une raison de distordre la vérité, et les payer peut entrainer cela, » dispose au Washington Post Kelly McBride, une spécialiste de l’éthique journalistique à l’institut Poynter. L’argent peut également influencer le média, le rendant partial et ne dévoilant que la version de la victime dans laquelle elle a « investi », analyse le Washington Post.
La dé-professionnalisation de l’information. Le journalisme souffre de ce que Michael Schudson nomme le para-journalisme: « Des firmes de relations publiques et de relation de presse, des directions de communication, services de presse, des conseillers en communication,des agences événementielles, et des leaders politiques eux mêmes consacrent de plus en plus de temps et d’efforts à une activité qu’on peut considérer comme journalistique, dans mesures ou ils s’efforcent de formater leurs messages selon les codes et les rituels de l’information à la télévision. Les sujets et les thèmes d’origines gouvernementales ne sont pas signalés, » et à Missika de rajouter: « l’amenuisement des moyens financiers des rédactions effacent progressivement la frontière entre journalistes et para journalistes, entre reportages TV et communiqués de presse vidéo. »
Les journalistes sont donc pris en tenaille entre le para-journalisme et le journalisme participatif, sur le web. Des difficultés auxquelles s’ajoute l’omniscient oeil de l’audimat.
« Je hais la télévision. Je la hais autant que les cacahuètes. Mais je ne peux m’arrêter de manger des cacahuètes, » Orson Welles
La révérence devant le Dieu audimat. L’audimat, c’est une mesure, très précise, du taux d’audience. «Cette mesure est malheureusement devenu le jugement dernier du journaliste (…) C’est le dieu caché.» Elle est présente dans tous les cerveaux. « Partout, il y a une mentalité audimat: dans les salle de rédaction, dans les maisons d’édition. On ne cesse de penser en terme de succès commercial. » Or, ce qui est paradoxal, c’est que: « Depuis le milieu du 19 ième siècle, le succès commercial était suspect pour les écrivains. Dans leur monde, c’était le signe d’une compromission avec le siècle, avec l’argent, etc. »
« L’audimat presse et introduit donc la logique du commercial qui se traduit par l’urgence. » Toutes les chaines de TV se font concurrences, une concurrence temporelle: la recherche du scoop. « En philosophie, il y a un lien entre la pensée et le temps. A la télévision, ce problème se résume à cette question: Peut-on penser dans la vitesse? » La TV semble le croire et donne la parole à des penseurs de la vitesse, des fast thinkers, issues des carnets d’adresses des journalistes. Un petit monde « scientifique » qui vie en vase clos. Toutefois, ces fast thinkers ne pensent que par des idées reçues. Sauf que: « La pensée est subversive. Il faut démonter les idées reçues, et ensuite les démontrer. C’est la longue chaîne de la raison, qui prend du temps. Le déploiement de la pensée pensante est intrinsèquement liée au temps. »
« Personne ne lit autant les journaux que les journalistes », dispose Bourdieu, avant d’analyser: « la concurrence homogénéise. Comparez les jité, au mieux, c’est l’ordre des informations traitées qui changent. Il y a une unification par la concurrence. Le journal télévisuel est le produit du collectif, fait par l’ensemble des journalistes », toutes chaines confondues. Dés lors, la différence entre les JT passe souvent « inaperçue » pour le téléspectateur. Ce sont des choses imperceptibles. Pourtant, que ce soit par les journalistes, que par les producteurs, il y a cette croyance, cette pensée que la différence est perçue. D’où la conclusion de Pierre Bourdieu: « Vous n’existez que par la différence. »
« La télévision est une invention qui vous permet de faire entrer dans votre salon des gens que vous n’aimeriez pas recevoir chez vous, » David Frost
La télévision et l’éveil des citoyens. En 1940 Paul Lazarsfeld mène une étude sur le rôle des médias dans la campagne présidentielle Étasunienne qui oppose alors Roosevelt à Wilkie, et il découvre à quel point les citoyens refusent de s’exposer aux messages du candidat qu’ils ne soutiennent pas. Plus vous êtes démocrate moins vous vous exposé au messages des républicains et vice versa.
« Quand un individu est confronté à une information nouvelle ou à une opinion différente, il mobilise ses moyens psychiques pour filtrer, lisser, déformer ou évacuer ces dissonances. Son objectif principal est de préserver et de renforcer son système de valeurs et sa représentation du monde, et certainement pas de se remettre en cause, » explique Jean-Louis Missika.
Cette sélection de l’information a été codifié: l’on parle d’exposition sélective ( je ne regarde pas), deperception sélective ( je perçois autre chose que le message intentionnel de l’émetteur) et demémorisation sélective ( je ne mémorise pas, ou autre chose).
Cette sélection de l’information a été codifié: l’on parle d’exposition sélective ( je ne regarde pas), deperception sélective ( je perçois autre chose que le message intentionnel de l’émetteur) et demémorisation sélective ( je ne mémorise pas, ou autre chose).
« La vocation d’un espace public est de permettre la confrontation des opinions, malgré ces tentations de rejet », explique Missika, avant de rajouter: « Les médias sont le principales lieu d’exposition à des points de vues antagoniques (…) La télévision était un vecteur essentiel de l’exposition a des points de vues contradictoires. Avec la fragmentation et la VOD, le rendez-vous disparaît Le fait de rassembler des individus politiquement hétérogènes devant l’écran pour qu’ils s’exposent a des messages contradictoires devient de plus en plus rare, de plus en plus aléatoire, de plus en plus exceptionnel ». Et de conclure: « Le risque c’est d’avoir un espace public bavard et inattentif, où chacun veut être émetteur, auteur, éditeur, journaliste, mais où peu choisissent d’écouter ensemble et de se rendre au rendez-vous de prescripteurs fiables, peu nombreux et puissants. »
Une crainte que partage Jean-Paul Marthoz: « Le tribalisme médiatique se répand alors que les nouvelles technologies de l’information et de la communication offrent plus que jamais la capacité de briser les barrières et de tendre des ponts. Si, pour certains, Internet et les réseaux sociaux ouvrent toutes grandes les fenêtres du monde, pour d’autres par contre, ils permettent avant tout de choisir des « amis », des favoris et des abonnés d’une manière qui isole du reste de la société, en se réfugiant chacun dans son Facebookistan ou son Twitterland (…) L’interconnexion technologique entraîne une déconnection sociétale. "L’ère d’Internet, note Thomas Patterson dans son récent livre Informing the News,est de plus en plus celle des réalités séparées et des cyber-ghettos." Ce cloisonnement est renforcé par les moteurs de recherche qui, écrit David Carr, " se fondent sur des algorithmes prédisant ce que les usagers veulent voir sur base de leurs clics précédents, de telle sorte que les internautes sont écartés de plus en plus des flux d’information qui ne correspondent pas à leur a priori idéologique. " Ces cocons médiatiques, toutefois, sont aussi très souvent des marécages informatifs, car la ghettoïsation médiatique coïncide très souvent avec la « mésinformation » et la diffusion en bouche de demi-vérités et de contre-vérités qui ne sont jamais contredites. » Qui n’entend qu’une cloche, n’entend qu’un son, et que ce n’est que de la contradiction et de la confrontation d’idées qu’une vérité peut éclore.
Pour aller plus loin:
- Pour Bourdieu, il y a les « faux débats et les vraies faux débats. » Tous les intervenants proviennent d’un carnet d’adresse, ce sont les mêmes gens qui interviennent: « C’est un monde clos d’inter-connaissance d’inter-communication. Il y a une logique auto-renforcement permanente. » Ces débats ont toute apparence d’un débat démocratique, mais il n’en est rien. Tous ces fast thinkers de la pensée jetable qui parlent comme des robinets. Dans un débat, la composition de plateau est essentielle, insiste Pierre Bourdieu: « Tous les locuteurs ne sont pas égaux, il y a les habitués, et les occasionnels. Pour arriver à rétablir l’égalité, ces derniers doivent être assistés, notamment par le présentateur, ce porte parole du public, qui manipule l’ordre de parole et le temps. Mais souvent, on enfonce ces défavorisés. »
- Jean-Louis Missika, Vers la fin de la télévision, Seuil 2006
- Pierre Bourdieu, Sur la télévision, 1996
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