La science, l'ignorance, l’incertitude

Que préférez-vous ? Vivre en ne sachant pas, ou vivre en ayant des réponses qui pourraient être fausses ? Pléthore de théories, ou de modèles, sont "vraux" - vrai jusqu’au moment où ils deviennent faux. Est-ce problématique ? Après tout la science est basée, au départ, sur l’ignorance. Pourtant, comme le déclarait le mathématicien et philosophe Bertrand Russell: "Ce que les hommes veulent en fait, ce n’est pas la connaissance, c’est la certitude." Attention, comme nous le prodigue Alexander Pope: "Un peu de savoir est une chose dangereuse ; Les petites gorgées intoxiquent le cerveau ; Et ce n'est qu'en s'y abreuvant à flot, qu'on retrouve notre sobriété." Aussi, comme le souligne le scientifique Christophe Galfard: "La science n’est pas de la politique et la nature se fiche pas mal de mes opinions, ou de celles de n’importe qui d’autre, d’ailleurs."

"L’ennui dans ce monde, c’est que les idiots sont sûrs d’eux et les gens sensés pleins de doutes," Bertrand Russell 

"Vous voyez, une chose est que je peux vivre avec le doute et l’incertitude, et ne pas savoir. Je pense qu’il est beaucoup plus intéressant de vivre ne sachant pas que d’avoir des réponses qui pourraient être fausses," explique le scientifique Richard Phillips Feynman, avant de rajouter: "J’ai des réponses approximatives, et des croyances possibles et des degrés différents de certitude sur différentes choses, mais je ne suis absolument sûr de rien et il y a beaucoup de choses dont je ne connais rien, comme par exemple si cela signifie quelque chose de demander pourquoi nous sommes ici, et ce que la question pourrait signifier. Je pourrais y réfléchir un peu et si je ne peux pas répondre, alors je passe à autre chose, mais je n’ai pas à avoir une réponse, je ne me sens pas effrayé en ne sachant pas, en étant perdu dans un univers mystérieux sans avoir d’objet, ce qui est le cas pour ce que je peux en dire. Cela ne me fait pas peur."
Une théorie est censée faire avancer la science plutôt qu'à la définir pour l’éternité / "Les hommes naissent ignorants et non stupides. C'est l'éducation qui les rend stupides," Bertrand Russell 

Ne l'oublions pas ! "La science moderne repose sur le constat latin: ignoramus, “nous ne savons pas”. Elle postule que nous ne savons pas tout," explique Yuval Noah Harari dans son livre "Sapiens", avant de renchérir: "De manière encore plus critique, elle accepte que ce que nous croyons savoir pourrait bien se révéler faux avec l’acquisition de nouvelles connaissances. Il n’est pas de théorie, d’idée ou de concept sacré qu’on ne puisse remettre en question (...) La Révolution scientifique a été non pas une révolution du savoir, mais avant tout une révolution de l’ignorance. La grande découverte qui l’a lancée a été que les hommes ne connaissant pas les réponses à leurs questions les plus importantes."

Comme l'écrit Albert Moukheiber, dans son ouvrage "Votre cerveau vous joue des tours": "Alors que chacun de nous est soumis à un flot continu d'informations, le défi est moins de lutter contre l'ignorance que contre l'illusion de connaissance. Il est plus facile d'apprendre des choses à une personne qui sait qu'elle ne sait rien, qu'à celle qui croit savoir alors qu'elle ne sait pas."

De la faillibilité de nos sens 

Pour Christophe Galfard, "nos sens sont nos fenêtres sur le monde, mais ce ne sont que de minuscules hublots donnant sur une immense mer qui nous est inconnue (...) Nos sens sont adaptés à notre échelle, à notre taille, à notre survie. Ils nous permettent de voir, de sentir, de toucher, de goûter notre environnement, ce monde, cette réalité dans laquelle nous vivons. Mais cette réalité à laquelle nos sens ont accès n'est pas l'ensemble de ce qui existe."

De l’incertitude, de Nassim N. Taleb - extraits des livres de Nassim N. Taleb: Le Hasard Sauvage, Le Cygne Noir, Jouer sa peau

"Quand se produit un événement d’importance, on entend souvent dire: “Ca n’est jamais arrivé auparavant”. Or, pour qu’il s’agisse d’une surprise, l’événement est nécessairement absent du passé. Alors pourquoi considérons-nous la pire chose qui nous soit arrivée comme la pire qui puisse jamais se produire ? Si le passé, en créant des surprises, ne ressemblait pas à ce qui l’avait précédé (que j’appelle le passé antérieur), alors pourquoi l’avenir devrait-il ressembler au passé ? 

Il existe seulement deux types de théories:
  •  Les théories dont on sait qu’elles sont fausses car elles ont été testées et rejetées en conséquence ( ce qu’il appelle les théories réfutées) 
  • Les théories dont on ne sait pas encore qu’elles sont fausses, donc qui n’ont pas encore été réfutées, mais le seront un jour 
"Pourquoi une théorie n’est-elle jamais juste ? Parce que nous ne saurons jamais par méthodes confirmatoires si tous les cygnes sont blancs Popper a emprunté à Kant l’idée que nos mécanismes externes de perception étaient incomplets). le processus de mise à l’épreuve est peut-être imparfait. Toutefois il est possible de dire qu’il existe un cygne noir. En revanche, une théorie ne peut-être vérifiée."

"Une théorie ne peut être acceptée que de manière provisoire. Ce qui tombe en dehors de ces deux catégories n’en fait pas partie. Une théorie qui n’offre pas une série de conditions dans lesquelles elle puisse être réfutée peut être considérée comme fantaisistes - autrement il serait impossible de faire le tri. Pourquoi ? Parce qu’un astrologue réussit toujours à trouver un argument qui convienne au passé, par exemple: mars était probablement aligné, mais pas assez (de même, selon moi, un trader qu’on ne peut faire changer d’avis n’est pas un trader). Ainsi, la différence entre la physique de newton (réfutée par la théorie de la relativité d’Einstein) et l’astrologie réside dans l’ironie suivante: la physique newtonienne est scientifique parce qu’elle nous a permis de la réfuter, alors que l’astrologie ne l’est pas car elle n’offre pas de conditions dans lesquelles on puisse la réfuter. On ne peut réfuter l’astrologie, étant donné les hypothèses auxiliaires qui entrent en jeu. Voilà l'argument qui sert de base de démarcation entre science et inepties (ce qu’on appelle le problème de la démarcation)"

Répéter encore et encore la même expérience mène à la certitude accrue que ça marche, et bien non ! La connaissance augmente avec l’accroissement de l’information, et bien non ! 

"Ce sont des personnes aux idées audacieuses, mais très critiques face à ces idées, elles essaient de déterminer si ces idées sont justes en tentant d’abord de découvrir si elles ne sont pas fausses. Elles travaillent sur d’audacieuses conjectures qu’elles tentent de réfuter avec le plus grand sérieux. Ces personnes sont les scientifiques."(Extraits des livres de Nassim N. Taleb: Le Hasard Sauvage, Le Cygne Noir, Jouer sa peau )

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