Pour être heureux, soyez honnête, ou pas: Honnêteté radicale et Mensonge réflexe

Pour être heureux, soyez honnête. Psychothérapeute, Brad Blanton est le leader et le créateur du mouvement « Honnêteté Radicale », pour lequel il consacre un livre, en 1996: « Radical Honesty: How To Transform Your Life By Telling The Truth. » A.J Jacobs, journaliste, part à sa rencontre et teste pendant 30 jours cette absolue honnêteté. Heurs et malheurs et surprises: alors, est-il bon de dire toute la vérité à tout le monde et tout le temps ? D'ailleurs, l'Homme en est-il seulement capable ?

« Nous serions tous bien plus heureux si seulement nous cessions de mentir, » explique A.J Jacobs, en relatant les propos de Brad Blanton, avant de renchérir que: « Blanton soutient que nous devrions nous débarrasser des filtres présents entre notre cerveau et notre bouche. Si vous le pensez, dites-le. Faites part de vos plans à votre patron pour démarrer votre propre entreprise. Si vous nourrissez des fantasmes envers la sœur de votre femme, Blanton affirme que vous devriez le dire à votre femme ainsi qu’à sa sœur. C’est le seul moyen d’entretenir des relations authentiques. C’est le seul moyen de faire reculer l’aliénation néfaste qu’engendre la modernité. Et pas question de s’étendre et de dire davantage que la vérité. »

La vérité, toute la vérité, et rien que la vérité. Être honnête avec tout le monde, tout le temps, tous les jours, à chaque instant, n’est-ce pas devenir cruel ? Une totale honnêteté n’est-elle contraire à la vie en communauté ? Il a tous ces petits mensonges de courtoisie que tout à chacun aime professer à longueur de journée. Toutes ces excuses bidons: « Navré, je n’avais pas vu ton email », à « Oui, oui, cette nouvelle coupe de cheveux te va à ravir, » etc.

Brad Blaton est convaincu du contraire, et résume, en ces mots, sa pensée: « Vous vivrez de très mauvais moments, vous vivrez de très beaux moments, mais vous apporterez quelque chose aux autres car vous n’aurez pas passé toute votre putain de vie à marcher sur des œufs. C’est une meilleure existence. » Et de rajouter: « Exprimer son ressentiment directement et en personne vous permet de faire l’expérience dans votre corps des sensations qui adviennent lorsque vous l’exprimez, tout en étant en présence de la personne à qui vous en voulez, et cela vous permet de rester avec elle jusqu’à ce que les sensations s’atténuent et reviennent à un état de neutralité – ce qu’est en réalité le pardon. »

Après moult hésitations, A.J Jacobs franchi le pas de l'honnêteté radicale. Dés débuts enivrant, libérateurs: « je me sens traversé par un frisson de candeur inappropriée. Et je ressens autre chose. La joie paradoxale d’être délivré du choix. Je n’ai plus le choix que de dire la vérité. Je n’ai plus à me creuser la tête pour trouver comment la couvrir, la détourner, l’enrober. »

De la névrose, à la psychose.  Toutefois, l’ivresse de l’honnêteté perturbe Jacobs dans son identité. Au cours de son existence, l’Homme devient un être schizophrénique, aux multiples personnalités qui se développent et s'expriment selon les circonstances. Inconsciemment, il les gère. Il réagit de telle façon devant tel événement et manifeste telle capacité. Néanmoins, chez Jacobs, l'honnêteté radicale chamboule l'ordre établi: tous ses « Moi », si bien compartimentés, veulent, ensemble, s’exprimer et se bousculent dans sa cervelle: « Ce qu’il y a, c’est que les différents compartiments de ma personnalité sont en train de fusionner. Habituellement, il y a un moi professionnel, un moi de la maison, un moi amical, un moi entre mecs… Désormais, c’est un grand foutoir inadapté . »

Aussi, Jacobs constate que, contrairement à ses craintes, ses proches supportent bien la vérité. En outre, dit-il, « l’un des meilleurs aspects de l’Honnêteté Radicale, c’est que je gagne beaucoup de temps. C’est une façon de vivre en allant droit au but, » et de renchérir: « C’est une des choses que j’ai remarquées : lorsque je suis radicalement honnête, les gens deviennent eux-mêmes radicalement honnêtes. »

Néanmoins, Jacobs n'adhère à 100 % à ce mouvement. Pendant ces trente jours, un ami perd sa femme et tente de trouver une consolation, un échappatoire, dans l’écriture. Cet ami adresse un recueil de poème à Jacobs. Il le trouve mauvais. Toutefois, il dira le contraire à son ami. Pour l’aider. Une forme d’empathie. Et à Jacobs de se convaincre que tout est affaire de contexte. La vérité, oui, mais une vérité mesurée.

« La vérité est comme le soleil. Elle laisse tout voir mais ne se laisse pas regarder. » (Victor Hugo) D'ailleurs, pouvons-nous réellement dire la vérité ? « Il est impossible de parler complètement vrai, » explique le psychanalyste J-D Nasio, dans un article de psychologies.com: « Dès lors que nous utilisons la parole, nous sommes condamnés à ne pas tout dire, car les mots ne reflètent jamais toute la vérité ; il y a toujours une partie de celle-ci qui reste cachée, inaccessible à la parole. »

Et de clamer, fermement: « Nous sommes incapables de ne pas mentir. »  A côté des mensonges conscients, du quotidien, la majorité de nos mensonges sont « des actes réflexes, instinctifs, auxquels on a recours pour se protéger ». De quoi ? « D’une atteinte physique, morale, matérielle ou psychique (honte, perte d’estime de soi…). En un mot : pour protéger la relation établie avec autrui. On ment par peur d’être privé de l’amour, au sens large, de l’autre. » 

En somme, il y a autant de vérités et de mensonges que d'individus.