De l'épuisement de la nature: La Planète au pillage, Fairfield Osborn
C'est l'Homme contre la Nature. L'Homme qui n'a de cesse de vouloir combattre, dompter Dame Nature. S'attaquant aux effets plutôt qu'aux causes elles-mêmes. Avec cette croyance que les miracles de la technologie moderne permettront de régler toute difficulté, toute crise. « Il est difficile de concevoir l'ingéniosité humaine comme impuissante à résoudre le plus important de tous les problèmes, à savoir de tirer du sol notre subsistance, » dispose le paléontologue Henry Fairfield Osborn, dans son ouvrage La Planète au pillage, avant de renchérir: « L’humanité risque de consommer sa ruine par sa lutte incessante et universelle contre la nature plus que par n’importe quelles guerres. »
La vie engendre la vie. Dans toutes les régions habitables, cultivables de la planète Terre, la surface est couverte d'une couche de sol productif. Cette terre du dessus doit « être considéré comme une matière vivante parce que peuplée en nombre infini par de minuscules végétaux vivants, les bactéries, et de tout aussi petits animalcules, les protozoaires. » Un ensemble, un équilibre complexe qui est à la base de la vie. De la vie végétale, mais également animale, et humaine. Omnivores, les êtres humains mangent ce que la glèbe leur procure, mais également les animaux qui se nourrissent de cette même terre. Et une grande partie, pour ne pas dire tout ce qui compose le sol, se retrouve ensuite en nous. « Si les sols où croissent les plantes ont été lessivés, épuisés ou de toute autre manière appauvris, les aliments à en provenir ne peuvent que manquer des éléments dont nous viennent la force et la santé, » remarque Fairfield Osborn avant de renforcer son propos: « Un exemple des relations existantes entre la santé du sol et celle des animaux » est donné par le déclin et la spectaculaire restauration d’une des plus grandes écuries de courses et d'haras d’élevage de pur-sang de toute l'Amérique du Nord.
Cet établissement était l’un « des plus constamment heureux de toute l’histoire des courses américaines. Ses lignées d’étalons et de poulinières avaient depuis une longue période produit des chevaux de course d’un allant et d’une vitesse peu ordinaires. » Quasi tous étaient élevés dans « une grande ferme située au cœur du pays où croît la fameuse herbe bleue du Kentucky. »
Néanmoins, à partir de 1933, la proportion de courses gagnées déclinaient d’année en année. Le nombre de juments « pleines allait toujours diminuant tandis qu’augmentait la proportion des poulains mort-nés ou mal venus. » Tant et si bien qu'en 1941, une seule course fut, et de justesse, remportée.
Inquiet, le propriétaire fit venir des experts en matières de courses qui disposèrent que « les lignées de chevaux de courses étaient épuisés, » que leur sang était appauvri.
Cependant, le régisseur de cette écurie, qui sortait d’une école d’agriculture où il avait étudié les questions relatives à la vie du sol, avait une autre théorie et déclara que: « les inconvénients dont leur élevage avait à souffrir ne venaient non pas des animaux, mais du mauvais état du terrain (...) l’utilisation trop prolongée du domaine pour le seul élevage des chevaux, avec un pâturage constant par ceux-ci et le durcissement dû à des centaines de sabots, pouvait bien être la seule cause du mal. »
Après quelques études du sol par des experts agricoles et des chimistes, le résultat en fut que « la terre avait lentement et insidieusement perdu sa fertilité naturelle » : le sol manquait de certains éléments chimiques et de minéraux, les vers de terre avait quasi disparu. Dés lors, un vaste programme d’ensemble « fut mis en œuvre pour la reconstitution du sol. L’amélioration fut rapide, de sorte que dés 1946 l’écurie venait au troisième rang des principaux vainqueurs pour l’ensemble des États-Unis, quant aux résultats de l’élevage, ils avaient retrouvé leur excellent niveau d’autrefois en ce qui concerne la fécondité des mères et la bonne conformations des poulains. »
Tout est lié. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. « Quand il détruit d’autres êtres vivants, animaux et végétaux, sans vouloir chercher à comprendre en quoi ils contribuent au grand schéma général de la vie, l’homme contribue sans le savoir à la détérioration de sa propre vie. » Chaque être vivant à son importance. Chaque être vivant chemine sur Terre en accomplissant un dessein. Du disgracieux et dérangeant insecte en passant par cette encombrante plante. « Le mal commence dès le moment où nous tuons sans en savoir assez sur les conséquences. On peut affirmer sans crainte que dans un monde vidé de tout autre créature vivante l’homme lui-même ne tarderait pas à périr. »
Tout cela, c'est l’histoire de l’énergie humaine déchaînée sans réflexion et sans contrôle: « l’homme devenu force géologique à grande échelle. » A vouloir dompter la Nature, effectuer des monocultures dans des terres impropres à les accueillir, assoiffant les cours d'eau, les détournant, en négligent le sol productif, en le bombardant de pesticides, en important et en élevant par caprice pécuniaire des moutons en Nouvelle-Zélande ou en Australie, elle même ravagée suite à l’introduction du lapin de garenne au XIXiéme siècle, sans oublier la déforestation de toutes les forêts du monde, etc. l'homme est ainsi devenu la principale cause du processus d'érosion à laquelle notre terre est soumise: « le sinistre processus de l'érosion (…) n'intervient pas d'ordinaire si la main de l'homme ne vient d'abord déranger l'ordre naturel du paysage, sauf exceptions comme dans les parties du monde où les conditions désertiques existent de façon naturelle. Prenant le monde dans son ensemble, nous constatons qu'avant l'apparition de l'homme son équilibre se trouvait compensé par la nouvelle « terre du dessus » qui se formait ailleurs grâce à l'action continue de la végétation sur les couches minérales sous-jacentes. »
Que ceci nous plaise ou non, Dame Nature ne saurait nous donner un blanc-seing pour notre seul et vil recherche du profit. « L'une des observations en ce qui concerne le régime alimentaire dans ses rapports avec la santé humaine est que souvent l’homme s’avère le moins bien nourri là où les aliments lui sont le plus largement fournis, avec ce corollaire que dans l’ensemble les peuples primitifs sont ceux qui souffrent le moins de maladies constitutionnelles aussi longtemps du moins qu’ils ne sont pas entrés en contact avec la civilisation. » A noter que l'agriculture n'est pas une science aisément transposable. Nombre de variables sont à prendre en considération. Ce qui fonctionne dans une région peut ne pas être adaptable, voir nuisible, dans une autre: « Les méthodes d’utilisation du sol correspondant à un climat où à un système social donnés ne conviennent pas nécessairement à un autre et même peuvent s’y avérer des plus néfastes, » dispose Henry Fairfield Osborn, et de rajouter, en guise d’exemple: « Avant l’arrivée en Afrique des premiers colons européens les indigènes avaient partout leurs propres méthodes pour utiliser le sol (…) Ils en tiraient leur subsistance sans penser au bénéfice en argent ou aux richesses qu’ils auraient pu acquérir en exportant les produits du pays. » Cependant, dés que les colons débarquèrent, de nouvelles cultures comme le coton, le tabac et le café furent imposées. « Avec cette tendance à exploiter la terre comme une mine pour en tirer le plus d’argent possible. »
L'Afrique a souvent été considéré comme une corne d'abondance. Avec cette croyance qu'une grande surface comporte nécessairement de grandes ressources naturelles et alimentaires. C'est sans prendre en compte la topographie, le sol, le climat, etc. Rappelons-nous que les trois quarts de la planète Terre est recouverte par la mer « et qu’une bonne moitié du reste est inhabitable parce que trop froide, trop montagneuse ou complètement désertique, en conséquence de quoi il ne reste plus guère que 65 millions de kilomètres carrés ou six milliards cinq cents millions d’hectares originellement propices au peuplement humain. » Un espace fini que se partage un nombre toujours plus important d’Hommes. D’ailleurs, l’une des principales causes des mouvements des peuples, des guerres, des discordes entre nations ne proviennent-elles pas « d’une diminution dans la capacité productive de leurs terres en même temps que de la pression toujours accrue d’une population sans cesse grandissante ? »
De la collaboration entre l'Homme et la Nature. « Il n’est guère aujourd’hui d’entreprise ou d’activité qui ne passe avant la plus fondamentale de toutes, à savoir la conservation de nos ressources naturelles vivantes, » scande Fairfield Osborn avant de conclure que: « L'homme doit réaliser d’une façon ou d’une autre qu’il est lui-même partie intégrante de la nature et que la nature n’est pas son ennemie. Ce n’est qu’en se conformant lui-même à l’ordre naturel des choses que, comme toutes les autres créatures, l’homme peut établir un équilibre amical, seul capable de rendre la vie possible sur cette planète pour les générations encore à naître. »
Pour aller plus loin:
A lire, donc, La Planète au pillage, de Fairfield Osborn, 202 pages, Editions Babel. Bien que l’ouvrage date de 1948, certaines de ses conclusions sont, hélas, toujours d’actualité. L’état des lieux de la planète Terre de Fairfield Osborn n’a guère évolué vers la pleine et entière collaboration entre l’Homme et la Nature. Qu'en est-il de cette prise de conscience que l’Homme n’est qu’une partie intégrante de la Nature, qui s’épuise de jour en jour par son exploitation abusive ? L'être humain, cette force géologique à grande échelle et qui ne cesse d’augmenter.
Dame Nature se consume et Dame Nature se met en colère et Dame Nature nous met en garde, encore et encore: inondations, tsunamis, écroulements de terrains, tempêtes de poussières, etc. Toutefois, peu de gens osent l’écouter. Peu de gens prennent en considération ces effets afin de s'attaquer aux causes. Changer, modifier notre façon de vivre, quitter notre zone de confort, prendre du recul et apprécier ce que nous avons infligé à notre terre nourricière, ces ravages, n'est pas aisé...
« L'homme doit reconnaître la nécessité où il se trouve de collaborer avec la nature. Il doit rabattre de ses exigences, utiliser et conserver les ressources naturelles du monde entier de la seule manière qui puisse permettre à la civilisation de se maintenir. La solution finale ne peut venir que d'une meilleure compréhension du grand et éternel processus des forces naturelles. Le temps est aujourd'hui fini où l'on pouvait espérer le braver impunément. »
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