Mémoire 2.0: le web rend-il plus intelligent ?
Toute cette connaissance accessible en quelques clics. Le web répond à toutes vos questions, et vous apporte même des réponses à des interrogations que vous ne vous êtes jamais posées. La sérendipité, dit-on. Dés lors, internet rend t-il plus intelligent ? Ou, à l’inverse, la toile nous rend-t-elle plus bête, faisant de nous des personnes web-dépendantes ?, comme le suggère Nicolas Carr, écrivain et journaliste américain auteur de «Is Google making us stupid ?», tribune parue dans la revue The Atlantic en juillet 2008.
Plus jeune, j’apprenais par cœur tous mes cours. A la virgule prêt, j’étais capable de réciter la prose que mes professeurs souhaitaient m’inculquer. Cette apprentissage est le fait de ma maman, dont le but était de muscler ma mémoire. Un bon exercice. Au fils des ans, ma capacité à retenir n’a cessé de s’accroitre, sans pour autant devenir hypermnésique.
Puis j’ai eu accès au web. J’avais 20 ans. Toute cette connaissance, qui, d’un clic à l’autre m’entrainait vers des recherches que je n’aurai jamais pensé effectuer. La sérendipité. Cette: « découverte de quelque chose par accident et sagacité alors que l’on est à la recherche de quelque chose d’autre » ( accident and sagacity while in pursuit of something else), comme l’explique au XVIII éme siècle l’écrivain britannique Horace Walpole, qui dispose avoir été influencé, pour cette trouvaille, par la lecture « d’ un conte de fées saugrenu, intitulé Les Trois Princes de Serendip » (et dont la trame narrative est: « des altesses voyageaient, elles faisaient toute sorte de découvertes, par accident et sagacité, de choses qu’elles ne cherchaient pas du tout : par exemple, l’un des princes découvre qu’une mule borgne de l’œil droit vient de parcourir cette route, parce que l’herbe n’a été broutée que sur le côté gauche, où elle est moins belle qu’à droite – maintenant saisissez-vous le sens de serendipity ? L’un des exemples les plus remarquables de cette sagacité accidentelle », extrait de la lettre de Horace Walpole à son ami Horace Mann)
Suis-je pour autant plus savant ? Internet et la sérendipité ont-ils accrue mon savoir ? Puis-je aisément briller en société ? Devenir pédant et étaler une culture qu’une foule de gens, envieux, voudrait acquérir ?
Oui, et non. Je me rends compte d’une superficialité de certains de mes acquis. Je lis beaucoup, je prends des notes, je stock, j’archive dans le cloud computing (surtout dans Google Doc, ou Drive). Au final, que me reste t-il?
Souvent un vague savoir, mais un souvenir quasi infaillible de l’endroit où chercher l’information, que ce soit dans mes fichiers ou sur la Toile. Ma mémoire s’externalise. Le web et les nouvelles technologies deviennent des appendices: Mon GSM, ma prothèse sociale, détient en mémoire mon répertoire de numéro de téléphone tandis qu’Internet et le cloud computing deviennent une extension de mon cerveau, en numérique.
Souvent un vague savoir, mais un souvenir quasi infaillible de l’endroit où chercher l’information, que ce soit dans mes fichiers ou sur la Toile. Ma mémoire s’externalise. Le web et les nouvelles technologies deviennent des appendices: Mon GSM, ma prothèse sociale, détient en mémoire mon répertoire de numéro de téléphone tandis qu’Internet et le cloud computing deviennent une extension de mon cerveau, en numérique.
C’est une forme de « mémoire transactive », un concept théorisé par Wegner, Giuliano, et Hertel dans les années 1980, avec cette idée que chaque personne d’un groupe n’a pas besoin de tout se souvenir, du moment que chacun connaisse les gens susceptibles de l’informer. ( « How do people remember things in relationships and groups? Each person doesn’t need to remember everything the group needs to know, after all, if each person merely stores in memory information about who is likely to have a particular item in the future. This capacity for remembering who knows what is the key to transactive memory » ) Sauf que les quidams sont devenus des « machines ».
Toutefois, cette « mémoire transactive », n’est-ce pas une forme de fainéantise: sachant que je peux facilement retrouver l’information, pourquoi la retenir ? Dés lors, Internet rend-il stupide ?
Comme l’écrit Nicholas Carr en juillet 2008 dans la revue The Atlantic, pour son célèbre article Is Google making us stupid ?: « Dans le Phèdre de Platon, Socrate déplore le développement de l’écriture. Il avait peur que, comme les gens se reposaient de plus en plus sur les mots écrits comme un substitut à la connaissance qu’ils transportaient d’habitude dans leur tête, ils allaient, selon un des intervenants d’un dialogue, "arrêter de faire travailler leur mémoire et devenir oublieux." Et puisqu’ils seraient capables de "recevoir une grande quantité d’informations sans instruction appropriée", ils risquaient de "croire posséder une grande connaissance, alors qu’ils seraient en fait largement ignorants". Ils seraient "remplis de l’orgueil de la sagesse au lieu de la sagesse réelle. »
Et de rajouter que nos capacités de concentration depuis l’arrivée du web s’amenuisent, adieu la lecture profonde et attentive. De même, que notre façon de penser, de réfléchir, et d’écrire se modifie au contact de l’internet, ce nouveau média. Tout comme ce fut déjà le cas avec l’apparition de la machine à écrire, comme le narre N. Carr: « En 1882, Friedrich Nietzsche acheta une machine à écrire, une "Malling-HansenWriting Ball" pour être précis. Sa vue était en train de baisser, et rester concentré longtemps sur une page était devenu exténuant et douloureux, source de maux de têtes fréquents et douloureux. Il fut forcé de moins écrire, et il eut peur de bientôt devoir abandonner. La machine à écrire l’a sauvé, au moins pour un temps. Une fois qu’il eut maîtrisé la frappe, il fut capable d’écrire les yeux fermés, utilisant uniquement le bout de ses doigts. Les mots pouvaient de nouveau couler de son esprit à la page. Mais la machine eut un effet plus subtil sur son travail. Un des amis de Nietzsche, un compositeur, remarqua un changement dans son style d’écriture. Sa prose, déjà laconique, devint encore plus concise, plus télégraphique. "Peut-être que, grâce à ce nouvel instrument, tu vas même obtenir un nouveau langage", lui écrivit cet ami dans une lettre, notant que dans son propre travail ses "pensées sur la musique et le langage dépendaient souvent de la qualité de son stylo et du papier". "Tu as raison", répondit Nietzsche , "nos outils d’écriture participent à l’éclosion de nos pensées".»
Notre manière de penser et de mémoriser est donc influencée (et modifiée) par notre environnement. Ce qui était vrai à l’époque de Gutenberg, de Henry Mill, l’est aussi et encore plus à l’ère du web; ou cette « peur de se déconnecter de la machine de l’information qui, elle, continue de tourner sans vous », avec Twitter, Facebook, etc., est d’autant plus prégnante. C’est le FOMO: Fear Of Missing Out. Pour autant, en l’espèce, internet rend-il stupide ? Oui, à ceux qui ne prennent pas la peine de bien le maîtriser. Adoptez l’attitude slow web, réduisez votre sérendipité, et, accessoirement internalisez un peu plus votre savoir. (Pour aller plus loin: L’hystérie de l’information, cliquez ici! )
Étude « Google Effects on Memory: Cognitive Consequences of Having Information at Our Fingertips », Betsy Sparrow Jenny Liu, Daniel M. Wegner (14 Juillet 2011)
Premier test. Des gens sont placés devant des questions complexes. Pour pouvoir y répondre, tous ont le réflexe « recherche Google ». Lorsque l’on demande aux participants à l’étude de stocker les informations sur un ordinateur, ils oublient rapidement ce qu’ils écrient, mais gardent en mémoire l’endroit précis où se trouve le fichier.
Second test. On demande à des participants d’entrer dans leur ordinateur 40 informations qu’on leur communique. Deux groupes sont formés. Au premier groupe, on leur annonce que leur ordinateur ne sauvegarderait pas les données communiquées. Au second groupe, les chercheurs assurent aux participants que tout serait stocké. Résultat: les « cobayes » du premier groupe ont beaucoup mieux retenu les réponses que ceux du second.
Second test. On demande à des participants d’entrer dans leur ordinateur 40 informations qu’on leur communique. Deux groupes sont formés. Au premier groupe, on leur annonce que leur ordinateur ne sauvegarderait pas les données communiquées. Au second groupe, les chercheurs assurent aux participants que tout serait stocké. Résultat: les « cobayes » du premier groupe ont beaucoup mieux retenu les réponses que ceux du second.
Pour aller plus loin: Le smartphone à 40 ans, et il est: « considéré par ces scientifiques comme le premier appendice artificiel de l’être humain augmentant ses capacités,» explique Thierry Picard, Directeur Général Adjoint, Spikly Groupe Keyrus. C’est la théorie de l’Homme augmenté. Et de renchérir: « l’homme développe une dépendance physiologique à un objet. Ses interactions émotionnelles de l’ordre de l’angoisse voire de l’addiction s’appelle la nomophobie ». Et de conclure, à propos du téléphone intelligent: « Il augmente notre condition humaine sans parler des capacités de mémorisation qu’il nous offre ! »
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